Avril2017 auteur : danielvidal9@hotmail.com

Retour à l'accueil.                                                                                             Retour traumacranien.info

Le discernement écologique d’une personne cérébrolésée*n’est pas celui où la personne doit choisir la bonne poubelle pour y jeter ses ordures, mais je plaisante et je précise qu’il s’agit du sens général de l’écologie qui se définit par les notions de relation et d’adaptation à son environnement, j’assume donc cette expression qui me semble conforme à la problématique que je vais évoquer.

La neuropsychologie attribue les troubles des fonctions exécutives aux lésions cérébrales frontales, je ne m’étends pas là-dessus, car cela regroupe un grand nombre de traits de fonctionnement de la pensée humaine et je ne voudrais pas dériver pour pouvoir me concentrer sur des situations et des comportements assez communs chez les personnes cérébrolésées et c’est donc sur la problématique du discernement écologique que je veux fonder mes explications.

J’énonce cela en préliminaire pour dire que mon propos sera d’aider à la compréhension des troubles plus ou moins importants de discernement écologique pragmatique des personnes cérébrolésées, c’est à dire selon la définition dictionnaire Larousse de « discernement », de leurs  facultés de juger et d’apprécier avec justesse et de « pragmatique » comme l’attitude de quelqu'un qui s'adapte à toute situation, qui est orienté vers l'action pratique.

Mon propos concerne des personnes cérébrolésées socialement communicantes, c’est-à-dire ayant une interaction sociale suffisante pour qu’il y ait un véritable échange en dépit d’éventuels troubles phasiques et gnosiques.

La capacité des personnes cérébrolésées à peser le pour et le contre, à prendre la bonne décision issue d’une analyse pragmatique, à produire une synthèse cohérente dans une situation ordinaire ou face à un évènement sans grande complexité, pourra être plus ou moins affecté en fonction des déficiences cognitives et de la  corrélation émotionnelle attribuée à la situation ou à l’évènement. Une personne cérébrolésée pourra connaître de plus ou moins grandes difficultés dans la relation et l’adaptation à son environnement d’où la notion de troubles du discernement écologique à laquelle j’ajoute pragmatique, car mon propos sera de mettre en lumière la manière confusionnelle qu’elle pourrait éventuellement avoir dans la gestion d’actions pratique courante, simple ou banale qui risquerait, du fait d’un manque de discernement cohérent, de dériver dans une complexité plus ou moins grande et devenir parfois ingérable.

J’illustre mon propos en vous racontant l’histoire d’une personne cérébrolésée âgée actuellement de 39 ans. Cette personne a été victime d’un accident de la voie publique qui a provoqué un traumatisme crânien ainsi qu’un handicap physique qui rend ses déplacements difficiles et l’oblige à marcher avec une canne. Elle vit seule à son domicile dont elle est propriétaire. Elle est sous curatelle et bénéficie de l’aide d’un service d’accompagnement à la vie sociale (SAVS) non spécifique des personnes cérébrolésées. Elle bénéficiait auparavant d’un SAVS spécifique qu’elle a quitté en situation conflictuelle. Sa curatelle renforcée avait été transformée en curatelle simple et c’est un curateur professionnel qui gère son patrimoine, mais elle doit maintenant gérer seule ses dépenses courantes. Elle vit actuellement les conséquences d’un conflit qui a dégénéré avec le syndic de sa copropriété ainsi qu’avec tous les autres copropriétaires en raison des conséquences des évènements que je vais vous rapporter.

Tout est parti d’un problème de stationnement dans l’enceinte privative de l’immeuble ou se trouve son appartement. Elle possède une place de parking individuel et plusieurs litiges l’ont opposé au syndic de la copropriété concernant l’usage et l’accès à sa place privative. Je dois préciser en outre que Simone (prénom attribué au hasard pour conserver l’anonymat de la personne) ne conduit pas et la seule utilisation de sa place de parking est faite par le SAVS ou par ses visiteurs, ce qu’ont bien compris certains locataires qui se garent dessus abusivement et laisse même leurs véhicules parfois la nuit. Simone s’arcboutant sur ses droits estimait qu’elle devait être libre en permanence et ne tolérait pas même un arrêt.

Elle exigera du syndic qu’il fasse la police auprès des autres copropriétaires et que le nécessaire soit fait afin que personne n’occupe même momentanément sa place privative. Le problème de ses exigences c’est leur raideur et leur intolérance qui ne laissaient au syndic qu’une marge de manœuvre réduite. Il a bien signifié ses demandes aux propriétaires dont certains ont des locataires, mais cela a produit peu d’effet. Simone a appelé la police à plusieurs reprises qui s’est même déplacée et lui a dit qu’elle ne pouvait pas intervenir pour des problèmes de stationnement dans des lieux privés.

A ce stade nous pouvons constater une attitude rigide, intransigeante et intolérante qui est un trait de caractère que l’on peut retrouver chez certaines personnes lambdas sans que cela entraine forcément ce qui va suivre alors que chez une personne cérébrolésée, la dérive sera pratiquement systématique quand il se produit une surenchère émotionnelle qui bloquera la capacité de discernement écologique. Dans le cas que je vous décris, Simone estimera qu’elle est dans son droit de manière inconditionnelle et qu’il n’y avait donc lieu à aucune concession.

Devant ce que Simone considère comme une grave atteinte à ses droits de personne handicapée, elle a entrepris avec un grand manque de discernement rationnel de demander le déplacement de sa place de parking pour la rapprocher de la porte d’entrée. La copropriété a refusé d’accéder à sa demande, elle a alors demandé qu’on lui fasse un passage bétonné pour aller de sa place de parking à la porte d’entrée pour lui éviter de passer par le parking goudronné. Sa demande a été de nouveau été rejetée pour des raisons qu’elle a refusé d’entendre et d’accepter, en effet, on a tenté de lui expliquer que le passage bétonné qu’elle exigeait entrainait la suppression d’une bande végétale ce que refusaient les autres copropriétaires et en outre, c’était techniquement impossible en raison de l’étanchéité de parties souterraines. Elle s’est donc obstinée dans ses demandes jusqu’à créer une situation conflictuelle et tendue avec le syndic et les autres copropriétaires. J’ajouterai que ses demandes étaient exprimées assez confusément et que des bonnes âmes qui auraient dû méditer le proverbe « les conseilleurs ne sont pas les payeurs », l’ont aidé à faire des lettres recommandées au syndic pour réclamer ce qu’elle estimait être ses droits absolus.

On constate bien à la lumière de ces faits que Simone fait preuve d’une rigidité mentale d’origine fortement émotionnelle et que par voie de conséquence son discernement est gravement altéré d’autant qu’elle se fie à des conseilleurs qui ne mesurent pas l’impact de leurs conseils. Cet état de rigidification sans discernement d’une situation conflictuelle à forte prégnance émotionnelle pourra se produire fréquemment chez des personnes cérébrolésées et cela d’autant plus qu’elles seront plus ou moins confortées par des tiers conseilleurs qui ne mesurent pas l’impact de leurs conseils sur une personne cérébrolésée.

La situation s’est encore plus envenimée pour prendre un tour judiciaire quand Simone a entrepris de ne plus payer ses charges de copropriétés pour faire pression sur le syndic afin qu’il accède à ses demandes. Le syndic et les copropriétaires excédés par les demandes irrationnelles tant dans leurs contenus que dans leurs formulations ont entrepris, peut-être un trop rapidement, une action judiciaire en raison du non-paiement des charges de copropriétés. Simone s’est alors trouvé en panique et s’est tourné de tout côté pour essayer de trouver de l’aide, elle a d’abord demandé à son auxiliaire de vie du SAVS qui ne s’estimait pas compétente pour régler ce problème, puis à son curateur qui est intervenu pour faire reporter l’audience en attendant qu’elle lui fournisse suffisamment d’éléments pour qu’il puisse l’assister au mieux de ses intérêts. Il lui a quand même rappelé qu’elle n’était plus sous curatelle renforcée et qu’elle aurait peut-être dû y rester.

Le discernement logique au mieux de ses intérêts est souvent très perturbé dans les situations conflictuelles et la personne cérébrolésées prendra souvent des décisions que l’on pourrait qualifier par les expressions « brut de décoffrage » ou « à l’emporte-pièce » et si je cite ces expressions n’y trouver rien de péjoratif, car je veux seulement essayer de faire comprendre d’une manière imagée le mode d’adaptation perturbé qui affecte une personne cérébrolésée.

C’est à ce moment que je suis intervenu pour l’aider, car j’étais bénévole à l’époque des faits  dans une AFTC (Association de Familles de Traumatisés crânien et cérébrolésées) ou Simone venait régulièrement.

Simone que je connaissais parce qu’elle venait fréquemment à l’association m’a demandé mon aide, car son curateur qui avait fait reporter une audience prévue au tribunal d’instance, attendait qu’elle lui fournisse les éléments nécessaires à sa défense et qu’elle n’arrivait pas à réunir malgré l’aide qu’avait essayé de lui apporter son auxiliaire de vie.

J’ai dû faire le tri dans ses papiers, car Simone ne savait plus où elle en était vraiment de ses paiements, car l’action judiciaire l’avait fortement perturbée. Il a fallu que je la rencontre plusieurs fois pour obtenir tous les documents et la convaincre de ne plus se focaliser sur la place de stationnement. Elle a également eu beaucoup de difficulté à comprendre mes explications sur ce qu’elle devait vraiment à la copropriété et j’ai quand même réussi à l’inciter à se mettre à jour en réglant ses charges en retard et en lui disant que l’on ne pouvait pas légalement se soustraire arbitrairement au paiement des charges de copropriété. Elle n’assumait pas ses actes et a essayé de se justifier en m’affirmant avoir réclamé au syndic les appels de charges par courrier à la place de mails qu’elle est incapable d’ouvrir sans l’aide de son auxiliaire de vie. Simone n’évoquait plus maintenant que du bout des lèvres sa frustration liée à sa place de parking  et a plus ou moins remplacé cette focalisation qu’elle ressassait en boucle par une autre liée à un sentiment d’injustice de devoir payer les charges sans obtenir gain de cause et la crainte de la justice ajoutait un nouveau cadre émotionnel qui n’était pas favorable pour qu’elle puisse mettre de l’ordre dans ses idées. Cette manière de tourner en boucle sur ses problèmes sans apporter de solution pragmatique, guidée prioritairement par une frustration à forte incidence émotionnelle me fait penser à la pièce de Molière « les fourberies de Scapin quand Géronte répète sans cesse « mais que diable allait-il faire dans cette galère » pour éluder le paiement d’une rançon. Simone tournait maintenant en boucle sur ce qu’elle croyait devoir à la copropriété et sur un chèque qu’elle avait émis qui n’apparaissait pas dans le décompte, car il est probable qu’il n’ait jamais été envoyé. J’eus beau remettre de l’ordre dans ses comptes et lui expliquer à maintes reprises le décompte du syndic, mes informations passaient difficilement le filtre émotionnel qu’activait Simone en permanence en se focalisant sur ce qu’elle croyait avoir payé et en outre son agressivité contestatrice qui l’avait conduite à ne pas payer ses charges se transformait maintenant en un déni qui l’amenait à contester en boucle  et confusément ce qu’on lui réclamait.

Une focalisation chasse plus ou moins l’autre sans vraiment l’évacuer, car les personnes cérébrolésées ont une propension à tourner en boucle irrationnellement sur les évènements à forte incidence émotionnelle sans pour autant qu’une solution pragmatique émerge de la manière confusionnelle de discernement qui les affecte. Elles manquent indubitablement de la rationalité qui permettrait d’envisager la moins mauvaise option pour se sortir d’une situation complexe.

La procédure judiciaire a engendré un nouveau problème, car le syndic réclamait en sus des charges en retard, des pénalités et des frais de justice que Simone n’estimait pas devoir et elle refusait d’entendre et de comprendre que les frais engagés par le syndic au nom de la copropriété s’ils ne sont pas recouvrés, seront réparti sur l’ensemble des copropriétaires dont elle-même. Il fut très difficile de dénouer ce nouveau dilemme, car Simone ne percevait pas ou ne comprenait pas l’impact que pourraient avoir ses relations avec le syndic et les autres copropriétaires si le tribunal statuait en sa faveur au niveau des frais. Il a fallu encore plusieurs rencontres pour l’aider à mettre de l’ordre dans sa compréhension des tenants et des aboutissants de cette situation ou beaucoup de choses étaient emmêlées autant dans l’esprit de Simone que dans les documents qu’elle me présentait.

Les personnes cérébrolésées ont plus ou moins de discernement écologique pragmatique ce qui les amène à comme le dit l’expression populaire « passer du coq à l’âne ». Je n’emploie pas cette expression dans un sens péjoratif, caricatural ou moqueur, mais simplement pour insister sur le déficit de cohérence rationnelle qui les affecte. Elles ont dans des situations à forte incidence émotionnelle, une vision que je qualifie de tronquée et confusionnelle voir, dans des cas extrêmes, de totalement irrationnelles, de la situation ou de l’évènement, mais curieusement en tenant des propos d’apparence plus ou moins cohérents qu’il faudra pouvoir décoder.

Pour conclure, Simone finit par régler une partie des frais engagés par le syndic après une négociation amiable effectuée par son curateur et l’audience du tribunal d’instance fut annulée ce qui permit à Simone d’éviter de payer les 700 € réclamés par la copropriété en vertu de l’article 700 du Code de procédure civil.

Les rapports avec les autres copropriétaires et le syndic sont aujourd’hui apaisés, car Simone est actuellement en fauteuil roulant et c’est sans doute ce qui a fait prendre conscience à ces personnes de la gravité du handicap qu’elle subit. L’empathie se manifeste malheureusement beaucoup plus quand le handicap est visible.

Actuellement, Simone a retrouvé une certaine sérénité très relative, mais ressasse toujours ses revendications pour la jouissance de sa place de parking. Un autre problème a vu le jour qui lui donne l’espoir d’obtenir un gain de cause que je qualifierai de revanchard même si sa nouvelle demande peut paraître justifiée. En effet, la salle de réunion de la copropriété comporte trois marches qu’elle ne peut pas franchir avec son fauteuil roulant et Simone exige maintenant une rampe d’accès handicapé pour le local des réunions de copropriété.

Il sera toujours plus facile d’éviter que des situations dégénèrent quand la personne cérébrolésée sera sous curatelle renforcée, mais hélas cela n’est pas facilement accepté par ces dernières et comme dans le cas de Simone, elles aspirent à ne plus subir les contraintes qu’impose une curatelle renforcée quand elles y sont soumises. La perception de ce qui est le mieux dans son intérêt par une personne cérébrolésée sera affectée par les plus ou moins grands troubles du discernement écologique qui l’affectera.


* Une personne cérébrolésée souffre de déficiences cognitives et de troubles du comportement faisant suite à des lésions cérébrales acquises qui sont des dommages au cerveau causés par une blessure traumatique ou non traumatique survenue après la naissance.

 


compteur site webcompteur site web